Des réformes innovantes sur fond de famine

Les nouvelles autorités du Niger semblent avoir tiré leçon du passé. En vue des prochaines élections, elles ont envisagé de nouveaux critères sélectifs comme la caution et le niveau d’instruction. Désormais, pour être candidat à la députation, il faudra avoir obtenu le BEPC (Brevet d’études du premier cycle). Mais le candidat à l’élection présidentielle, outre le fait de débourser 10 millions de F CFA, doit, au minimum, avoir fait trois ans d’université.
Et une fois élu, pour faire plus sérieux dans ce pays dominé par les musulmans, il faudra prêter serment sur le Saint Coran à l’heure de l’investiture présidentielle. L’on espère ainsi que les engagements pris devant le peuple des croyants et la communauté internationale, seront bien respectés. Le hic, c’est que Mamadou Tandja, le président déchu, avait juré sur le même Saint Coran, de respecter la Constitution. On connaît la suite. Aujourd’hui, pour s’être parjuré, il est défait et placé sous bonne garde. Après la justice des hommes, il lui faudra aussi répondre devant le tribunal du bon Dieu.
C’est la première fois que de telles dispositions sont prises sur le continent. Elles peuvent paraître draconiennes à bien des égards. Certes, la caution que doit débourser le candidat à la présidentielle n’est pas à la portée de tous les citoyens électeurs et éligibles. Mais, toute proportion gardée, elle est acceptable car visant avant tout à écarter les candidatures loufoques. Dans nos contrées sahéliennes où la famine et la vie chère rongent continuellement le pouvoir d’achat, il est hors de doute que ceux qui ont l’habitude des candidatures fantaisistes, réfléchiront par deux fois avant de se lancer dans une telle aventure.
Par contre, certains critères suscitent quelques interrogations : le niveau d’instruction par exemple. Etant donné qu’il s’agit d’une expérience démocratique, le niveau d’instruction est-il un critère suffisant de qualité ? Nul n’ignore la propension à voir se multiplier les délinquants à col blanc sur le continent. Ne vaudrait-il pas mieux alors mettre l’accent sur les enquêtes de moralité ? On pourrait ainsi rendre inéligibles les individus qui se sont illustrés négativement durant le règne de Mamadou Tandja. C’est dire combien des verrous sont nécessaires pour barrer la route à tous ces individus qui savent se métamorphoser au gré des événements.
En outre, comment considérer un tel critère sans prendre le risque de tourner dos aux grands principes enchâssés dans la Constitution ? Pour la plupart, ils prônent l’égalité des chances. Or, la majorité de la population végète dans l’analphabétisme. Comment prétendre faire ainsi la démocratie sans la marginaliser ? De quoi se demander ce que font réellement les élites pour favoriser l’intégration des analphabètes et des marginaux dans le processus de construction de l’Etat de droit démocratique. Entre le juridisme et l’idéalisme, quelles limites trouver pour éviter de pénaliser l’Etat dans sa marche vers le progrès et la démocratie ?
Mais le critère du niveau d’instruction a un sérieux avantage : il peut contraindre les forces d’inertie à adhérer au processus de scolarisation. A condition bien entendu que les pouvoirs publics mettent fin à la démagogie et que les politiques éducatives soient plus conséquentes. Les nouvelles dispositions nigériennes ne divergent pas, en esprit, de celles en cours en Guinée. Ensemble, elles pourront inspirer les forces du changement dans les autres pays. A l’étape actuelle de l’histoire du continent, l’Etat est interpellé par diverses priorités les unes aussi urgentes que les autres. L’Afrique a trop fait du surplace. Il est temps d’innover. Cependant, des garde-fous demeurent indispensables pour un meilleur aboutissement des processus démocratiques. Mais, à y réfléchir, après cinquante années d’expérience politique, nous sommes les premiers responsables de cette situation peu enviable.
Pays sahélien très pauvre, le Niger compte plus de 15 millions d’habitants en 2010, selon un récent rapport de l’Institut national de statistiques (INS). En matière de luttes démocratiques, il est en passe de léguer au continent de beaux textes de référence. L’acharnement des nouvelles autorités se comprend d’autant que le pays a aujourd’hui fort à faire pour éradiquer la faim qui tenaille ses populations. Une faim qui, dans une large mesure, est la conséquence de la malgouvernance et le résultat d’une absence de vision. Si la junte tient au succès du processus en cours, il lui faudra accorder aux problèmes de survie la priorité qui convient. D’où la nécessité de doter ce pays de dirigeants crédibles et responsables. On le voit, entre la soif du pouvoir des acteurs politiques et la faim qui prend au colet des populations contraintes à l’exil, la junte s’active et multiplie les réformes. Il lui faut mettre les bouchées doubles pour ne pas décevoir les attentes de ceux qui, il y a peu, applaudissaient sa prise du pouvoir.
Ecrit par "Le Pays"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire